L'indivisibilité de l'Empire

28/2/1945

 

En son temps, la Conférence de Hot-Springs mit en avant un principe qui a causé une certaine émotion : celui de la mise en commun des colonies dans une sorte de pool. Notons immédiatement que la conférence de Hot-Springs était purement consultative et qu'elle ne pouvait émettre que des suggestions. Son caractère officiel fait pourtant que, même s'il ne s'agit là que de suggestions, elles méritent d'être étudiées de près.

Notons d'abord que le principe exposé à la conférence de Hot-Springs nous rappelle, ici, en France, un fâcheux souvenir. Nous nous souvenons de certaines propositions de mise en commun de l'Afrique, en forme, en quelque sorte, de société anonyme. Au temps de la « collaboration » et de « l'Europe », des propositions de ce genre nous étaient faites, dans un sens, il est vrai, beaucoup plus impératif.

Mais écartons ce rapprochement qu'après tout nos alliés pourraient ne pas trouver de leur goût. Leur proposition n'en va pas moins à l'encontre de la notion même que nous avons de notre Empire. Bien que corrigée par des considérations humanitaires et civilisatrices, elle n'en procède pas moins d'un certain esprit mercantiliste. Les colonies seraient des « possessions », des domaines que l'on exploite. Pour nous, les territoires de notre Empire ne sont justement pas  des possessions, ils ne sont pas quelque chose de raccordé à la France : ils sont la France. Ceci est vrai surtout de l'Afrique du nord, mais aussi de nos provinces - et j'emploie à dessein ce terme – plus lointaines.

Sans doute, les événements exigent-ils une orientation nouvelle de notre politique coloniale et une révision des rapports entre les différentes parties de l'Empire. Il s'est produit, pendant ces quatre années, un fait dont on ne saurait exagérer l'importance. Les colonies, séparées de la métropole, ont pris l'habitude de vivre seules. Elles ont constaté que leur dépendance économique vis-à-vis de la France continentale était moindre qu'elles ne le croyaient. Tous ceux qui, par leur profession, ont à négocier la reprise des échanges commerciaux avec les territoires d'outre-mer pourront témoigner de ce phénomène et de l'état d'esprit consécutif. Il en résulte qu'il faudra beaucoup moins prétendre gouverner les colonies de Paris, mais que l'Empire devra être de plus en plus un État fédéral, au Gouvernement duquel participeront tous ses membres. Mais ceci est quelque chose de purement français. Si nous savons le comprendre, ce phénomène peut aboutir à un resserrement des liens impériaux. Il y aura moins une France et des colonies, mais beaucoup plus un Empire français.

Nous voici loin d'une mise en commun des territoires coloniaux. celle-ci irait à l'encontre de ce qui doit être la nouvelle structure de notre patrie. L'Empire français devra prendre de plus en plus la structure d'un État fédéral. Il importe qu'on le comprenne à temps. L'Histoire donne assez d'exemples du danger qu'il peut y avoir pour un peuple à ne pas comprendre à temps le développement de ses colonies vers une autonomie relative. Mais ceci est un problème purement français et les propositions de Hot-Springs, loin d'y apporter une solution, ne feraient que le compliquer.